Khorramchahr : Le Verdun Iranien

Publié le 3 Juin 2014

 

"L’élégance de ta silhouette est celle du cyprès de Kahsmar
La douceur de tes lèvres celle du sucre du Khuzestân"

Nizari Kohistani  (1)

 


Commémorations…

Mai et Juin en regorgent… "Ras-le-bol", pestent certains…

Désolé, mais je vais en rajouter une autre !

Pour deux raisons "géopolitiquement" cardinales : personne n’en parle sous nos latitudes ; alors qu’elle est essentielle, si l’on souhaite comprendre l’Iran d’aujourd’hui. Surtout, son inébranlable détermination dans la défense de sa souveraineté nationale, au cours des négociations en cours à Genève.

Aucune allusion dans nos médias, spécialisés dans le "décryptage de l’information". Encore moins dans ceux prospérant du commerce lucratif de la diabolisation continue de ce pays.

Rions de ce zèle méticuleux dans la désinformation. Appareil de bourrage de crâne si asphyxiant qu’il ne cesse de multiplier ses pseudopodes iranophobes dans de multiples directions. Avec, inévitablement, ses petits "dealers de l’intox", "cocaïnés" de propagande jusqu’aux oreilles, qui champignonnent dans les ruelles du Web.

 

La "Guerre Imposée"

Le 24 Mai dernier, comme chaque année, l’Iran a célébré l’anniversaire de la reprise de la ville de Khorramchahr occupée par les troupes Irakiennes de Saddam Hussein, financées et assistées par l’Occident et ses pétromonarchies sous tutelle. Le 32°…

Occupation, suite à l’attaque surprise lancée par l’Irak, le 22 septembre  1980, sous forme du bombardement d’une dizaine d’aérodromes pour tenter de détruire au sol l’aviation Iranienne. Précédant la plus vaste invasion d’un pays par des divisions blindées, depuis la  deuxième guerre mondiale. Sur un front de 700 km.

Khorramchahr : Le Verdun Iranien

Ce fut une guerre de 8 ans, que les Iraniens appellent la « Guerre Imposée ». Car, non seulement ils ne la voulaient pas, mais en plus elle n’a fait l’objet d’aucune "déclaration de guerre" préalable. Cette "agression armée" bénéficiant même, en dehors du colossal soutien des occidentaux (une vingtaine de pays...), de la complicité des instances de l’ONU de l’époque, en infraction avec sa propre Charte fondatrice...

Qui, à la première ligne de son Préambule, spécifie pourtant :

"Résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances..."

Silence. Durant 8 années meurtrières, aux immenses ravages et destructions : septembre 1980 – Août 1988.

Dans le "deal" passé avec les occidentaux, Saddam Hussein devait annexer, en récompense, la province frontalière du Khuzestân. Célèbre depuis des siècles pour la saveur de son sucre, berceau des monarchies Perses. La plus riche des 31 "régions administratives" de l’Iran par ses ressources agricoles, halieutiques, hydrauliques et énergétiques. Et, ses industries. Notamment : métallurgiques. Avec le port de Khorramchahr et la grande raffinerie d'Abadan pour fleurons.

Les partenaires du dictateur Irakien ayant pour objectif de reprendre le contrôle de l'Iran, et son pillage. Perdus à la suite du renversement du sanguinaire régime du Shah, par une courageuse révolution populaire, avec la solidarité de la majorité des forces armées. Le niveau de corruption et d’atrocités atteint par ce régime, protégé par les occidentaux qui encadrait sa police politique la SAVAK, hallucinante de férocité, était devenu insoutenable pour la population.

Un moment, les occidentaux avaient espéré récupérer cette révolution à leur profit, en mettant en place une dictature militaire.

A l’exemple du coup d’Etat effectué lors du renversement du premier ministre Mossadegh, en août 1953. Dans le style de l’opération plus connue en Occident, réalisée au Chili, par le général Pinochet et son gang. Mossadegh, rappelons-le, avait eu l’audace de nationaliser les compagnies pétrolières étrangères qui refusaient de déclarer les quantités d’extraction de pétrole et de gaz qu’elles exportaient à partir de l’Iran, d’en acquitter le juste prix et les taxes afférentes.

Khorramchahr : Le Verdun Iranien

Ou, récemment, avec un habillage "démocratiquement" plus présentable, similaire à l’intronisation du maréchal Al-Sissi. Tout juste plébiscité "président de la république" d'Egypte, avec plus de 96 % de bulletins en sa faveur !… Après avoir renversé le gouvernement démocratiquement élu de Morsi. Le putsch militaire qui vient de réussir, en Thaïlande, adopte semblable configuration.

La routine…

Mais, pour une fois, les occidentaux ont été gagnés de vitesse et d'habileté.

Le coup d’Etat militaire en préparation, avec ses ramifications, démasqué. Une centaine de généraux et d’officiers supérieurs passés en jugement, plusieurs exécutés pour "haute trahison". Dans le meilleur des cas, mis à la "retraite anticipée". Opération dont le succès revient en partie aux étudiants qui avaient pris d’assaut l’ambassade des Etats-Unis, le 4 novembre 1979, à Téhéran.

Petits papiers et grandes illusions

Réussissant à récupérer les sacs des documents passés dans les différents broyeurs des services de l’ambassade. Ce sont des dizaines d’étudiants en anglais, encadrés de leurs professeurs, qui ont patiemment reconstitué ces rapports, fiches et dossiers, à l’intérieur d’un hangar. Dans un excellent exercice d'anglais "appliqué"...

Plusieurs semaines durant. Morceaux, lamelles, bandelettes, dans un gigantesque puzzle. Avec une héroïque abnégation : travailler de longues heures, sans climatisation ni ventilation, pour ne pas transformer ce méthodique travail de fourmi, en bataille de confettis !…

Face à l'échec du projet de coup d'Etat, restait à engager le plan B : une guerre « proxy », selon le terme technique en usage chez les "stratèges" bellicistes. En clair : une guerre « sous-traitée ». Provoquant la démoralisation de la population afin de renverser le gouvernement et sa nouvelle constitution, par des militaires rendus maîtres de la situation politique en dépit, ou à cause, de leur défaite sur le terrain.

Le "sous-traitant" était tout trouvé : Saddam Hussein. Aussi cruel que stupide, manipulé, méprisé, jusqu’à sa pendaison, par ses maîtres…

Les occidentaux, dont la France, ouvrirent en grand leurs arsenaux, mettant à sa disposition ce qu’il souhaitait. Y compris les renseignements et photos fournis par les satellites. L'Union Soviétique, alors en plein déliquescence, n'avait plus de politique étrangère crédible, se limitant à rester un des fourrnisseurs d'armement de l'Irak (blindés et avions de combat, principalement). "Tradition" héritée du temps de la Guerre Froide, américains et autres membres de l'OTAN approvisionnant les armées du Shah d'Iran...

Les pétromonarchies sortirent, donc, leurs chéquiers. Certaines estimations établissent une moyenne de 60 milliards de dollars par an accordés pendant toute la guerre, sous forme de prêts, par : Koweït, Arabie Saoudite et émirats du Golfe. (2)

L’Iran, isolé, en pleine réorganisation, affaibli par un embargo lui coupant tout accès aux achats d’armes et de pièces détachées, ses avoirs à l'étranger saisis (notamment d'importants accomptes versés pour des marchés civils ou militaires), fut surpris dans un premier temps. N’ayant aucune intention belliqueuse à l’encontre de l’Irak, peu de troupes se trouvaient sur cette frontière.

Khorramchahr, ou Khurram Shahr, littéralement "La Ville Agréable", fut encerclée et attaquée dés les premiers jours de l’invasion. La ville opposa une résistance désespérée : un mois. Rue par rue, maison par maison, étage par étage. A la fin du siège, sans armes ni munitions, armés de couteaux et de bâtons. Khurram Shahr devint pour les Iraniens, jouant sur les mots : Khunin Shahr, "La Ville de Sang".

C’est leur Verdun, dans la symbolique de la résistance nationale. Ce qui était une des plus belles villes de l’Iran et son plus grand port sur le Golfe Persique, avec de somptueuses demeures et vestiges historiques, devint une cité fantôme, sans habitants, un champ de ruines. Il fallut 2 ans pour la reprendre : le 24 mai 1982. Des milliers de morts, 20.000 Irakiens prisonniers.

Et, encore, 6 ans de guerre à endurer. Dont la partie la plus acharnée se déroula, pour l'infanterie, dans les marais et la boue des estuaires des grands fleuves de la région se déversant dans le Golfe Persique.

Khorramchahr : Le Verdun Iranien

Sous les gaz de combat, ne l’oublions pas, dont les Irakiens firent un usage intensif, massif, dans le silence "ONUsien"… Gaz toxiques (dont l'épouvantable "sarin", inodore et incolore...), munitions chimiques, et vecteurs appropriés, intégralement fournis par les occidentaux : jusqu'à trouver, sur les champs de bataille, des obus au gaz de fabrication espagnole !.. Contre les Iraniens, militaires ou civils. Qui, de leur côté, n’en ont jamais employé. N'ayant, au début de la guerre, même pas d'équipements, ni d'antidotes pour faire face à ce type d'agression.

D'après un rapport déclassifié de la CIA, de 1991, plus de 50.000 soldats Iraniens auraient été tués par des attaques au gaz au cours de ce conflit. (3)

Khorramchahr : Le Verdun Iranien

A ce jour, environ 100.000 anciens militaires sont encore traités pour des complications pulmonaires ou graves maladies de peau. Dont plus d’un millier d'entre eux, véritables "morts-vivants" soignés depuis, en permanence, dans des hôpitaux spécialisés. Avec affection et respect : considérés en héros par la Nation.

Non compris les victimes civiles "gazées", des nombreuses villes et villages, situés dans les zones de combats ou à leur proximité…

Dans l'indifférence de nos Belles Consciences...

Mais, le plan initial des "stratèges" occidentaux (les spécialistes en "options sur la table"…) capota : la percée Irakienne s’essouffla rapidement, l’Iran ne s’écroula pas et son gouvernement ne fut pas renversé. Abandonnant la "guerre-éclair", les troupes Irakiennes s’installèrent dans des tranchées pour une interminable "guerre de positions" analogue, "progrès" du matériel mis à part, à celle de la première guerre mondiale.

L’arrogance pour stratégie

Cinq paramètres avaient été gravement, ou stupidement, sous-estimés par les occidentaux :

i)  La résistance, symbolisée par Khorramchahr, sur l’intégralité du front. Loin de se trouver face à une débandade, les Irakiens furent confrontés à une défense acharnée, héroïque, articulée sur une remarquable discipline, conservant en permanence l’initiative, multipliant les contre-attaques malgré d’énormes problèmes en renouvellement de matériels et de munitions. Dès les premiers jours, des centaines de blindés et véhicules Irakiens furent détruits, notamment par les hélicoptères de combat.

ii)  La profonde cohésion nationale de l’Iran. Les Iraniens, toutes générations confondues, se sont instantanément soudés autour de leurs dirigeants pour défendre le pays. Comme dans le rejet du régime sanguinaire du Shah et de la prédation de l’Occident.

Quels que soient leurs groupes ethniques. Exemple le plus emblématique : les "stratèges", avec Saddam Hussein, avaient anticipé un ralliement des fortes communautés arabes du Khuzestân. Qui, à leur grande surprise, combattirent l’envahisseur avec une détermination implacable.

iii)  Le faible niveau de fiabilité des "renseignements" et "analyses" fournis par des pseudos "opposants au régime". Qui n’étaient en fait que des privilégiés du régime policier du Shah (de nos jours, ce sont leurs rejetons…). Pressés de retrouver leurs sinécures, prenant leurs désirs pour la réalité.

iv)  L’ingéniosité des forces armées Iraniennes et de leurs techniciens. Ayant le plus grand mal à trouver des pièces détachées (l’essentiel du matériel étant américain et britannique), cannibalisant une partie (chars, véhicules, avions, hélicoptères, etc.) pour en maintenir opérationnel le maximum. Dans la mesure du possible, les reproduisant avec leurs machines-outils.

Ce sont eux qui ont fabriqué des drones d’observation aérienne (les Irakiens bénéficiaient de l’apport des satellites occidentaux) et de combat : les Mohajer. Devenant les meilleurs spécialistes mondiaux, avec plus de 700 sorties au-dessus des zones de combat. (4)

v)  La formidable performance de l’aviation Iranienne. Réagissant dès les premiers jours, survolant à basse altitude l’Irak, déjouant la défense anti-aérienne, pour bombarder les infrastructures militaires, radars : dépôts, aérodromes. Détruisant de nombreux appareils Irakiens, en vol et au sol. (5)

Saddam Hussein donna l’ordre de rassembler par sécurité le reste de ses avions dans la grande base Al Whaleed, près de la frontière jordanienne, à l’opposé des frontières avec l’Iran.

L’aviation Iranienne mis alors au point un des plus extraordinaires exploits de raid aérien militaire, par son audace et sa complexité opérationnelle, connu sous l’appellation H3 Airstrike. Conçu par le général d’aviation Hooshvar.

Survolant à basse altitude les frontières de l’Irak pour ne pas avoir à le traverser, des chasseurs-bombardiers sont allés détruire au sol, le 4 avril 1981, une cinquantaine d’avions Irakiens dont 5 Mirage F1 français. Ainsi que pistes et hangars. Après plusieurs ravitaillements en vol, à l’aller comme au retour. Sans aucune perte ni incident technique.

Khorramchahr : Le Verdun Iranien

Problème…

Loin d’être affaibli, l’Iran par sa combativité inépuisable, son excellence dans la gestion de sa pénurie, parvenait à retourner la situation à son avantage. Pénétrant progressivement, à partir de 1985, en Irak. A plusieurs reprises, ses commandos d’élite atteignirent les faubourgs de Bagdad.

Dépités et furieux, les occidentaux enclenchèrent le plan C !...

Détruire l’intégralité de l’infrastructure pétrolière et industrielle de l’Iran, tout spécialement ses raffineries et terminaux d’exportation. L’empêcher de vendre ses ressources et se procurer des devises. L’épuiser pour plusieurs générations.

Mettant la main à la pâte, ils participèrent joyeusement au saccage sous différentes formes plus ou moins camouflées. Les Irakiens manquant surtout de pilotes confirmés, pour prendre en charge les nouvelles livraisons de matériel nécessitant plusieurs années de formation et d'entraînement… Mais : Chut !

Moins inhibés, trouvant toujours la juste cause mensongère (représailles, tentatives d’attaques de leurs navires par les Iraniens, etc.), les américains frappèrent des plateformes pétrolières, détruisirent des navires de guerre. Et, autres amabilités du genre…

Jusqu’à pulvériser en vol un avion civil, le 3 juillet 1988, par deux missiles tirés d’un croiseur lance-missiles, l’USS Vincennes, entré illégalement dans les eaux territoriales Iraniennes.

Tuant les 290 passagers avec l’équipage, dont 38 non-Iraniens et 66 enfants.

Equipé des radars les plus perfectionnés, il aurait confondu le Boeing, en phase ascensionnelle après son décollage, avec un chasseur-bombardier le menaçant en "piqué" !... Alors que l'Iran Air Flight 655 assurait paisiblement son vol quotidien, entre Bandar Abbas et Dubaï.

Un authentique crime de guerre.

Symptomatique. Le commandant du navire, William C. Rogers, a reçu une des plus hautes décorations militaires, Legion of Merit, pour services exceptionnels rendus à la Nation "entre avril 1987 et mai 1989". Par le président Bush.

Evidence : le plan C, malgré son pouvoir dévastateur, n’abattait pas l’Iran. Il fut décidé d’arrêter cette partie mortifère, les marchands de canons ayant suffisamment bourré leurs coffres et leurs comptes dans les paradis fiscaux. Après des pressions sur Saddam Hussein, la Résolution 598 fut adoptée le 8 août, mettant un  terme aux combats. La paix étant officiellement restaurée le 20 août 1988.

En fait, pour les occidentaux, il convenait de réfléchir à une intervention militaire "directe", sous un prétexte quelconque. D’élaborer un autre plan. L’hystérie "nucléaire", après abondante diabolisation, en constituera la trame. Inscrit sur la liste des "Etats terroristes", la déstabilisation, à défaut, la destruction de l’Iran, furent décidées tout en étant reportées à un moment plus favorable.

Le bellicisme de l’Occident, à son encontre, n’en devenait que plus virulent.

Mais…

Khorramchahr, le "Verdun" Iranien, est là pour rappeler que menaces et gesticulations, diffamations et agressions, d’où qu’elles émanent, quelles que soient leurs formes, ne feront pas plier cette Grande Nation, dans ses droits légitimes à préserver sa souveraineté et sa dignité.

L'Iran, au contraire, les défendra, avec couteaux et bâtons si l’impossible l’exige.

Khorramchahr : Le Verdun Iranien

Barrage sur le fleuve Kārun - کارون  -  Le  Kārun 3  -  Province du Khuzestân  

 

 

1.  Naimuddin bin Jalaluddin bin Muhammad Nizari Kohistani, poète Iranien né à Birjand en 1247.
A noter que le cyprès de Kashmar est un arbre mythique des légendes, ou de l’imaginaire Persan, symbole de La Beauté. Paradisiaque, pourrait-on dire.
2.  Patrick Brogan, World Conflicts : A Comprehensive Guide to World Strife Since 1945, Bloomsbury, London, 1989.

3.  Informations reprises par :
=>  Robin Wright, Dreams and Shadows : The Future of the Middle East, Penguin Press, New York, 2008.

=> Terry Bryant, History’s Greatest War, Chandni Chowk – Global Media, Delhi, 2007.

4.  Ce qui explique, la parfaite maitrise de l’arraisonnement électronique par les Iraniens du drone américain le plus perfectionné de son arsenal, le RQ-170 Sentinel, en observation d'espionnage au-dessus de leur territoire. A la stupéfaction des spécialistes américains, oubliant le grand principe de Sun Tzu : ne jamais sous-estimer « l’Autre »…

5.  Les pilotes Iraniens utilisant du matériel américain (F4-Phantom, F5-Tiger, F14-Tomcat, etc.), ont tous été formés aux USA. Notons qu’ il n’y a eu aucune défection ni désertion.

 

 

 

Rédigé par Georges Stanechy

Publié dans #Bellicisme Occidental

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